Il serait très long de raconter ce qui a amené Guy de Sauvage à Can Damoun, ce hameau du sud des Pyrénées-Orientales qui tutoie la frontière espagnole. Nous sommes en 1978, et son épouse, Imma, vient d’y installer son atelier de céramique. Peu de temps auparavant, le couple d’artistes faisait déjà atelier à part. Guy à La Rochelle et Imma à Saint-Clément-des-Baleines, dans l’Ile de Ré.
A cette époque, Guy de Sauvage a enlisé sa créativité dans une approche trop technique. En abandonnant l’abstraction, il a troqué ses crayons et ses pinceaux contre un appareil photo, un agrandisseur et des matériaux nouveaux, pensant revenir par ce biais à la figuration. Dans son petit atelier idéalement situé sur le port de La Rochelle, il a l’Atlantique à sa fenêtre. Une belle source d’inspiration, sauf qu’aussi changeante qu’elle puisse-t-être, la mer ne se suffit que très rarement à elle-même. La montagne, c’est tout le contraire.

La magie de « Can Damoun »
Ce retour à la nature, mais dans une nature âpre et sauvage, va soudainement le réveiller. Il ressort ses anciens crayons de couleur et, tout doucement, il croque à petit traits les extraordinaires paysages qu’offre le Haut-Vallespir. Après des années d’errance, l’âme du paysagiste qu’il n’avait jamais cessé d’être trouvait un nouveau souffle qui l’accompagnera jusqu’à la fin de sa vie.

Cependant, le séjour à Can Damoun va rapidement prendre fin. Imma, qui y dispose d’un bel atelier de céramique, n’y est pas à son aise. Pas question pour autant de quitter les Pyrénées-Orientales. Guy et Imma se plaisent dans cette région, bien éloignée de Paris. Alors ils déménagent de l’autre côté de la vallée du Tech, dans le massif des Aspres. Imma achète un terrain dans la commune de Prunet-et-Belpuig – 36 habitants – tandis que Guy s’installe à une dizaine de kilomètres de son épouse, dans une petite maison du village de Saint-Marsal. Ces deux-là s’aiment mais leurs caractères sont incompatibles et ils n’arrivent pas à vivre sous le même toit. Une fois son atelier installé, Guy de Sauvage reprend son travail mais cette fois au pastel.
Un atelier dans les Aspres

Entre-temps, il a constitué une belle collection de grands dessins, qu’il va exposer, en 1984, chez Thérèse Roussel, qui tient une galerie d’art de bon niveau à Perpignan. Hélas, malgré une critique élogieuse, pas une vente. Plusieurs raisons à cela. L’artiste n’est pas coté, mais il est cher. De plus, il n’est pas originaire du cru, et les Belges sont peu appréciés dans ce département qu’on leur reproche d’avoir colonisé à une époque où ils étaient bien les seuls à en apprécier le charme exceptionnel.
Et puis un autre problème se profile. Le couple voit ses économies fondre comme neige au soleil. Imma, plus douée pour le relationnel que son mari, réussit à leur trouver un travail. Ils vont enseigner l’un le dessin, l’autre la céramique, dans les ateliers d’enfants du mercredi, au Palais des Congrès de Perpignan.


Parallèlement, Guy continue à travailler. A partir de 1987, il reprend la peinture à l’huile, avec toujours les fascinants paysages des Pyrénées-Orientales comme sujet de prédilection. Des cerisiers en fleur sous la neige à Céret à la mystérieuse Tour de Batère. La montagne et la végétation sans cesse changeantes au gré des saisons et dont il veut exprimer toutes les nuances.

Bleu comme les arbres
S’il produit assez peu quantitativement, chaque dessin, chaque toile est le fruit d’un travail souvent long, basé sur des croquis soignés, toujours en quête de perfection. Et chaque œuvre achevée le laisse dans un état d’épuisement réel, tant il s’y est investi corps et âme.

Au delà de cette absolue nécessité de créer, de traduire sa perception du monde par le trait et la couleur, sa vie artistique, Guy de Sauvage l’a toujours vécue plus ou moins intensément comme une quête spirituelle. Ce n’est pas un hasard si nombre de ses premières toiles abstraites, peintes dans les années cinquante, lui ont été achetée par le grand collectionneur belge Baudouin de Grunne, jusqu’à ce que ce dernier ne se tourne définitivement vers l’art africain. A cette époque aussi, Victor Vasarely avait ressenti cette inspiration qui confine à la religiosité dans l’œuvre du jeune artiste. C’est d’ailleurs Vasarely qui lui avait conseillé de partir à Paris où il pensait le voir s’épanouir, loin des critiques d’art belges qui n’arrivaient pas à comprendre comment ce jeune artiste issu de l’aristocratie avait pu si « mal tourner ».
Retour à Paris

A la fin de 1993, Guy de Sauvage rejoint son amie, « montée à Paris » pour sa carrière. Mais en 1994, c’est la rupture. Le peintre s’installe dans un premier temps comme voisin de palier de son fils aîné, Benoît, à Maisons-Alfort. Puis, en 1996, il vend sa maison de Saint-Marsal et vient s’installer à La Flèche, en Sarthe, où son 3e fils, Jean-Baptiste, vit, travaille, et lui à trouvé un petit appartement à louer. De cette manière, il se rapproche aussi d’Imma, son épouse, qui vit désormais elle aussi à quelques kilomètres de La Flèche.


C’est là qu’il passera les dix dernières années de sa vie. Il y peindra seulement neuf toiles, mais sans aucun doute parmi les plus belles de toute sa carrière. Dans son petit appartement, dont le seul horizon se résume à la façade aveugle du Prytanée, il boucle son itinéraire artistique en explorant le champ fugace où le paysage confine à l’abstraction, où la nature se fond dans une harmonie de couleurs, fluides et lumineuses.

Le paysage, voie sacrée vers l’abstraction

Parti du paysage 75 ans auparavant, passé par le travail de la terre, puis la peinture abstraite prélude à un voyage dans les étoiles et à une peinture d’inspiration cosmique, Guy de Sauvage est retourné à l’abstrait au terme d’un long parcours à travers la représentation de la nature. Il réalise ainsi le parcours de Kandinsky, qui déclarait en 1911 que l’une des principales voies vers l’abstraction est celle de la contemplation de la nature et de l’immensité du cosmos.

Le paysage comme voie sacrée de l’abstraction, prise dans sa globalité, l’oeuvre de Guy de Sauvage apparaît comme une longue quête spirituelle. Peut-être le désir, pour cet homme qui s’était débarrassé d’une religion à qui il reprochait son absolutisme dogmatique, de retrouver le Divin.

Sept dessins à l’encre de Chine


Encre de Chine et crayon de couleur de 1988 (29,7 x 42).





Encre de Chine au roseau de 1991 (29,7 x 42).

Encre de Chine au roseau de 1991 (29,7 x 42).
