Mai 1968 a profondément marqué Guy de Sauvage qui s’est réjoui de voir s’effondrer les valeurs bourgeoises qu’il avait subies comme un lourd carcan, durant sa jeunesse. Mais une fois l’enthousiasme passé, c’est une traversée du désert, qui l’attendait.
Dix ans après son arrivée à Paris, il est bien forcé de constater que le succès n’est pas au rendez-vous. Deux expositions personnelles, quelques participations à des salons et quelques commandes décrochées par le biais d’Imma, son épouse, qui s’est pour sa part bien intégrée à Saint-Germain-des-Prés, côté paroisse, s’entend.

C’est aussi à cette époque que ceux que l’on appelait pas encore les bobos, avides de retour à la terre nourricière, partaient « planter des carottes en Ardèche ». Pas réfractaire à cette vision des choses, Guy décide un jour d’aller s’installer dans sa maison du Périgord. Ou plutôt, il y installe sa femme et ses deux plus jeunes fils. Lui garde un petit pied-à-terre rue de Savoie, et fait la navette régulièrement.

Son travail est désormais essentiellement basé sur la photographie. Il s’est équipé d’un 24×36 Nikkormat et il tire lui-même ses très grands formats dans une chambre noire installée dans la salle de bains. Les photos sont soigneusement détourées et juxtaposées à des fonds colorés. Son inspiration : des murs aveugles et brisés, des paysages linéaires dépourvus de charme, parfois même une décharge à ciel ouvert… Un univers déprimant, révélateur de son état dépressif.


Passons sur l’initiative malheureuse de l’ouverture d’une galerie d’art contemporain à Périgueux (35 000 habitants) qui va plomber leur trésorerie. Mais en 1975 la famille de Sauvage repart vers de nouveaux horizons. Imma s’installe dans l’île de Ré, à Saint-Clément-des-baleines, où elle ouvre son atelier de céramique. Guy s’installe à La Rochelle. A l’époque, le pont n’existait pas encore.

Dopé par l’univers grisant de la mer, Guy travaille beaucoup, mais beaucoup de créations resteront à l’état de projet. La photographie était pour lui le biais pour revenir à la figuration, et donc aussi au paysage. Elle offre de grandes perspectives, mais cet artiste a besoin d’esquisser lui-même, de la pointe de son crayon, ce qu’il veut en quelque sorte « réexprimer ».
Un des aspects les plus surprenants de ce peintre est son goût pour l’art cinétique. Il est captivé par les mobiles de Calder, comme par les énormes machines inutiles de Jean Tinguely qu’il regarde fonctionner pendant des heures. Enfin, il est sous le charme des très raffinés et poétiques mouvements de René Bertholo.
Inspiré par le jeu nocturne des phares et balises, il se lance dans des montages fort réalistes de photos sous plexiglas fumé, assortis de mécanismes qui recréent en temps réel les signaux lumineux.

L’idée est intéressante, mais les contraintes techniques sont trop importantes. L’artiste passe un temps fou à mettre au point les mécanismes et l’investissement matériel est tout aussi ruineux. Guy de Sauvage se trouve face à une impasse.