Une vie consacrée à la peinture

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Au n°3 de la rue de Savoie, dans le VIe arrondissement de Paris, Guy de Sauvage a fait de cette pièce de 9 mètres carrés, son atelier et lieu de vie. Le précédent occupant était un architecte, qui avait bricolé une mezzanine où se trouvait son matelas. Et les WC, à la turque, sont comme il se doit dans l’escalier. Seul luxe apparent, les fauteuils Barcelone de Mies van der Rohe.
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En 1959, sa première huile sur toile réalisée à Paris (33 x 41). C’est la première d’une série de trois toiles qu’il a peintes dans le premier atelier qu’il a occupé en France, dans un immeuble du XIVe arrondissement qui était voué à la destruction. L’artiste a cherché pendant des années à retrouver les deux autres toiles, sans succès. Le couple qui les lui avait achetées s’étant donné la mort quelque mois plus tard.
Vasa Leirens corrigé
Dans ce courrier daté du 5 janvier 1959, Victor Vasarely remercie les « chers Fauves » (Fauve = sauvage, dans son langage toujours imagé) de leurs cartes de voeux. Il propose à Guy de « venir se bagarrer quelques mois à Paris ». Bien que d’un tempérament peu « bagarreur », Guy fera venir sa famille et y travaillera durant 15 ans.
Abstraction lyrique
En haut à gauche : huile sur toile de 1961 (65 x 81). En dessous : huile sur papier marouflé de 1962 (66 x 91). Au centre : huile sur toile de 1960 (81 x 100). En haut à droite : huile sur toile de 1962 (50 x 61). En dessous : huile sur papier marouflé de 1962 (66 x 91).

A Paris, Guy de Sauvage découvre une liberté jusqu’ici insoupçonnée. Sa peinture se libère elle aussi petit à petit. Fervent admirateur de Messagier dont il avait découvert le travail à l’occasion d’une exposition à Bruxelles, bien avant qu’il ne devienne célèbre, il se retrouve pleinement dans sa peinture abstraite, inspirée par la nature.

Grands formats

Grandes toiles
L’exiguïté de son atelier ne l’empêche pas de se lancer dans quelques grands formats, à l’image de ces deux toiles 120 F (162 x 130).

Il porte beau sa quarantaine et deux héritages familiaux lui ont apporté une aisance financière qui le soulage des contingences matérielles. De plus, à l’époque, le taux de change entre le franc belge et le franc français est particulièrement favorable aux Belges. Cependant, sa prestance cache une santé précaire (pulmonaire, il a frôlé la mort à l’adolescence). Mais surtout, il est neurasthénique. Sa vie à Paris pourrait lui sembler épanouissante, mais ce n’est pas le cas. Sa quête artistique ne parvient pas à le satisfaire, même s’il affirme que « Peindre rend heureux ». Il se cherche sans relâche.

P 199 ; 1964-13 (24x35)
Pour autant, les petits formats lui convenaient parfaitement. Cette huile sur toile de 1964  ne fait que 24 x 35 cm. A la lisière de l’abstrait et du paysage, elle s’apparente à certaines de ses compositions figuratives des années 1990.

Parfois dans l’impasse, Il lui arrive même de faire appel à ses collègues. Un jour, sur le quai des Grands-Augustins, il rencontre Alechinsky qui allait porter chez le restaurateur de tableaux Chauffrey, une toile qui s’était envolée du toit de sa voiture. « Je me désespérais devant une toile que je n’arrivais pas à terminer », relatait Guy. « Je l’entraîne alors rue de Savoie pour lui montrer la toile en question. Et il m’a donné la solution pour l’achever ».

Guy de Sauvage n’est jaloux ni du talent ni du succès des peintres qu’il admire. Bien au contraire. Il fréquente les galeries d’art en vue. André Schoeller, « Il expose des peintres que j’apprécie : Messagier, Duvillier, Reyberolle… » a-t-il noté. Sur la galeriste Denise Breteau il écrit : « J’aime son local. Cette galerie me semble courageuse et pure : Messagier, Duvillier, Laubiès, Duque, Benrath… ». Chez Daniel Cordier : « Ses peintres sont parmi les meilleurs : Michaux, Dewasne, Réquichot… ».

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Huile sur toile de 1961 (97 x 130).

Il réussira à nouer des relations avec quelques peintres. Avec Yves Klein, par exemple, qui le reçoit en kimono dans son appartement dépouillé. « Une salle vide et blanche, meublée seulement d’un banc et d’un immense tapis blanc ». Insolite, à l’époque. Guy en ressortira avec sous le bras un exemplaire du fameux « Journal d’un jour », qui paraîtra le lendemain.

Guy de Sauvage essaie d’intéresser certains critiques, tels Michel Ragon ou  Julien Alvard, qui viendra lui rendre visite rue de Savoie. « Mais il était très malade, et il a fait un malaise », narre l’artiste.  Julien Alvard décédera peu de temps après.

Mais là où le bât blesse, c’est qu’il n’arrive pas à intéresser les galeristes. On ne cache pas ses origines, et il faut dire que, de leur point de vue, M. de Sauvage ressemble plus à un client potentiel qu’à un artiste. Un seul lui fera confiance : Lucien Durand, réputé, à juste titre, pour être un grand dénicheur de talents. Malheureusement, pour Durand, « l’abstrait c’est fini ». Il a préféré exposer les céramiques de l’artiste.  Ce ne fut pas une réussite.

P 196 - 1964-10 (130x162)
Huile sur toile de 1964 , sans titre. 130 x 162

Ses toiles abstraites deviennent de plus en plus monochromes…

P 195 - 1964-9 (114x162)
Huile sur toile de 1964, sans titre. 114 x 162.

…C’est la traversée du désert.

 

 

Et soudain sa peinture devint cosmique…

Premiers astres
A gauche : huile sur toile de 1965 (89 x 116). A droite : huile sur toile de 1965 (116 x 89).

… Solaire

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Huile sur toile de 1965 (130 x 162).

Après cette longue période au cours de laquelle sa peinture s’est progressivement dépouillée, Guy de Sauvage se lance soudain dans une expression violente et lumineuse. Les astres qui entraient jusqu’ici marginalement dans ses compositions en deviennent les sujets principaux et uniques. Rayonnement, implosion, explosion, destruction… Il exprime la puissance des forces cosmiques.

Solaires
A gauche, acrylique sur toile 1967 (114 x 146). A droite,  acrylique sur toile 1967 (65 x 81).

L’époque amène aussi son lot de matériaux nouveaux qui donnent de nouvelles perspectives aux artistes. Guy de Sauvage délaisse ses tubes de peinture à l’huile pour adopter des gouaches acryliques aux couleurs vives, voire fluorescentes.

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Il aime utiliser le rhodoïd et le plexiglas teintés, joue avec des collages de matériaux insolites tels que l’emballage doré des chocolats de Pâques ou des tissus lamés. Le thème du cercle, de l’astre, est récurrent, quasi-obsessionnel.

Photos grandes 10
Une sérigraphie grand format (120 x 150), tirée à 10 exemplaires. L’original, une gouache fluo de même dimensions, créée en 1967, a été exposée au 24e salon des Réalités Nouvelles, à Paris, en 1969. Ici exposée dans la maison de campagne de l’artiste, en Dordogne.

Et vint Mai-68

La famille de Sauvage habite en plein Quartier Latin lorsque surviennent les événements de Mai-1968. Un vent de liberté (porteur il est vrai de gaz lacrimogènes) souffle sur Paris et le peintre sent que désormais les choses ne seront plus jamais comme auparavant. En spectateur il monte sur les barricades, et détale avec les manifestants lorsque chargent les CRS. Problème : trahi par son allure bourgeoise, les étudiants le regardent de travers, craignant avoir affaire à un flic en civil. Il n’en reste pas moins que cette révolution culturelle va le marquer profondément pour le reste de sa vie.

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En haut à gauche : sérigraphie n° 6 : « 4 Soleils », 1969 (45,5 x 57), 80 ex. A droite sérigraphie n°7 :  « Le pont d’Asnières », 1969 (44,5 x 56,5), 80 ex.  Au milieu à gauche : sérigraphie n°70/2, 1972 (12,8 x 18). A droite : sérigraphie n°1, 1968 (25 x 28). En bas à gauche : sérigraphie n°74/1, 1974 (52 x 76), 100 ex. A droite : sérigraphie n°8, inspirée par la chanson de Barbara « Le soleil noir » 1969 (100 x 65), 60 ex. .

 

Les artistes sont bien évidemment concernés par ce nouvel ordre des choses. L’art doit-il être réservé à une élite capable de se l’offrir ? Pourquoi ne pas reproduire une oeuvre originale pour diviser son prix par le nombre d’exemplaires, et faire autant d’heureux possesseurs de créations artistiques ? Guy avait déjà fait de la sérigraphie par le passé, il remonte un atelier rue Gît-le-Cœur, pas très loin de la rue de Savoie. C’est un duplex au 6e étage d’un immeuble neuf. Il installe Benoît, son fils aîné dans le studio et travaille à l’étage supérieur.

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En haut, affiche pour un concert de Pierre Henry (71 x 57). En dessous, affiche des Journées Saint-Germain-des-Prés (60 x 39).

Même s’il aurait aimé en faire bien plus, Guy de Sauvage n’aura reçu commande que de deux affiches, au cours de sa carrière. Ces expositions ephémères dans son quartier le réjouissaient, surtout lorsqu’un collectionneur en faisait disparaître prématurément un exemplaire.

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Parmi les matériaux qu’il travaille volontiers, le ciment brut aux reliefs de décoffrage et polychromés. Une de ces compositions,  achetée par l’architecte Roland Simounet (Musée Picasso de Lille),  était un grand relief de ciment carré, composé d’un grand disque argenté en creux, souligné par un tube fluorescent jaune circulaire. A gauche, 1967 ; (41,5 x 38 x 8). A droite, 1967 ; (62 x 65,5 x 5).